Soundsystem56 a écrit :
Sur un plan personnel, j'ai bien du mal à trouver de la fraîcheur à ce sport en ce moment. J'ai même presque tendance à le fuir. Je n'aurais jamais pensé cela.
La primauté des compétitions internationales type Champions' League sur les compétitions nationales (Coupe de France) n'a rien arrangé, et a déconnecté une partie des supporters de leurs clubs locaux. J'entends assez souvent des gens se plaindre qu'il n'existe pas de ferveur footballistique en France, comparé à l'Angleterre ou à l'Italie, mais en même temps c'est difficile de construire un engouement quand les clubs sont méprisés. J'ai des amis à Créteil qui supportent naturellement le PSG, alors que leur club aurait bien besoin de supporters motivés.
La concentration des capitaux et de la puissance médiatique autour d'une poignée de clubs tire le football français vers le haut dans les compétitions internationales (le PSG est la meilleure chance français en LDC à moyen terme), mais creuse l'écart avec le reste, les petites équipes qui luttent sans envie pour une place de milieu de tableau. Aucune perspective en championnat face aux cadors, aucune perspective en coupe face au PSG, et finalement aucun intérêt majeur à s'engager dans les compétitions comme la C3 quand le championnat de L1 de la 5e à la 15e place est assez disputé pour qu'une équipe peu attentive puisse dégringoler rapidement.
Résultat, à part quelques entraîneurs illuminés qui osent essayer de produire du jeu mais finissent par s'en aller (Bielsa, Gourcuff) ou être virés à la moindre contre-performance (Jardim), on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent en termes de spectacle - qui est bien la dernière chose qui reste aux supporters des équipes moyennes. Et ces profils ne peuvent que se raréfier car, comme le disait CG, il faut être deux pour jouer au foot.
Ajoutons à cela, comme le rappelle l'article, la culture de la statistique (qui à mon sens est la principale menace au football tel qu'on a pu l'apprécier au FC Lorient) et l'incapacité des journalistes à comprendre que le "beau jeu" (comme s'il n'en existait qu'un) n'est ni l'antithèse de la solidité défensive, ni l'expression d'un irrationnel offensif, forme d'attaque à tout-va qui se ferait au détriment de toute logique. Au contraire, les plus beaux football sont (à mon sens) la sublimation de ces deux concepts qui, au lieu d'être pris l'un indépendamment l'un de l'autre, sont unis dans un seul et même mouvement. Défendre pour mieux attaquer, attaquer pour mieux défendre. Gourcuff le théorise en mettant l'accent sur la transition défense-attaque, avec une explosion de l'équipe vers l'avant à la récupération, quand le football espagnol il y a quelques années a construit la défense par la possession de balle. On peut aussi parler des équipes qui produisent un gros pressing, la défense étant mise au service d'une volonté de marquer plus de buts que l'adversaire. Un impensable pour bien des commentateurs du football actuel, qui voient trop la défense comme une phase de passivité censée laisser l'adversaire exposer lui-même ses points faibles. Le fameux "on vise le 0-0 à la mi-temps".
Il y a de multiples manières de produire du "beau jeu", qui changent selon les générations, mais à mon sens elles ont toutes pour point commun de trouver le point d'équilibre entre prise de risque calculée et rationalité flexible. En se contentant d'un rationalisme défensif (appuyé sur la sacro-sainte tactique) comme on le fait trop souvent en France, on tue la créativité collective au profit de la créativité individuelle, et on se justifie en ridiculisant les tenants du "beau jeu" au motif que leur philosophie n'est pas réaliste. Comme si le football était une science de la prédiction. Mais n'est-ce pas finalement ce que préfèrent les investisseurs ? De la prédictibilité, de la lisibilité, afin d'anticiper pertes et profits ? L'irrationnel du sport n'a rien pour plaire à l'argent roi.